Vérification de la localisation du tumulus de la Sarrée (06620 Le Bar-sur-Loup)
Voici le déroulé d’une petite enquête destinée, non pas à découvrir quelque chose, mais à confirmer l’emplacement d’un tumulus, celui de la Sarrée sur la commune de Bar-sur-Loup.
Ce monument sépulcral a été découvert par Marcellin Chiris en 1901 et fouillé la même année par lui-même et Paul Goby (1).
D’un diamètre de 14,50 m et d’une hauteur de 1,25 à 1,5 m à cette époque, avec une dépression centrale évasée d’environ 5 m de diamètre, il a livré des restes humains attribués à une seule personne (fragments osseux et dents), des débris de poterie noire (l’un appartenant à un vase à fond plat et à paroi verticale à rebord légèrement ourlé, l’autre à un petit vase sub-sphérique), un morceau de hache polie, deux coquilles marines ayant fait partie d’un collier et un petit anneau de bronze qui a permis de faire remonter l’ensemble à l’âge du Bronze (1,2).
En 2014, après étude bibliographique, Claude Salicis et al. l’ont situé dans une zone très anthropisée, sur l’actuel emplacement d’un terrain de paint-ball. Logiquement ils l’ont déclaré détruit (3).
La même année, un correctif a été publié pour signaler la redécouverte du tumulus de la Sarrée par Stéphane Fulconis à 425 m au sud-ouest (4). Des photographies y sont jointes et des coordonnées précises fournies.
Alors que j’en parlais avec mon ami Laurent Del Fabbro, créateur du site Archéoprovence, celui-ci m’a expliqué disposer d’une photographie de ce tumulus prise par Paul Goby en 1901. Elle provient d’une lettre adressée à un confrère en 1906 dans laquelle il précise que l’image est inédite et réalisée avant la fouille (photo 1).
photo 1 (Paul Goby, 1901)
Il s’avère malheureusement impossible d’établir une correspondance visuelle entre cette photo et celles de 2014.
Laurent s’est donc demandé s’il s’agit bien du même tumulus et comment le démontrer.
Nous remarquons, bien sûr, la présence de deux bâtiments, l’un à gauche entre les arbres, l’autre plus petit au centre droit et peut-être un troisième à droite, à la gauche d’un arbre.
C’est un endroit que j’ai parcouru récemment et ces bâtiments me rappellent diverses ruines que j’y ai vues et photographiées.
Une recherche dans le cadastre napoléonien montre qu’à cet endroit quatre bâtiments sont recensés en 1832 (photo 2, notés B,D,E,F).
photo 2 : cadastre 1832 de Bar-sur-Loup, extrait de la feuille A3 La Sarrée.
Ce document me permet de comprendre que le bâtiment le plus à gauche sur la photo de P. Goby et que je pensais être le F, actuellement ruiné, est plus probablement le B.
A ce moment j’interprète donc les 3 constructions discernables sur le cliché de 1901 comme étant B, D et E.
La recherche d’une photo aérienne sur Google Earth me permet de constater la présence de quatre bâtiments également (photo 3, notés B,C,E,F).
Photo 3 (Google Earth )
Mais, on le constate, leurs espacements respectifs ne correspondent pas vraiment et ne permettent pas de faire correspondre le D de 1832 avec le C actuel.
Laurent recherche alors sur Géoportail une vue aérienne ancienne de la zone. C’est un cliché de 1947 qui va fournir des explications et lever les derniers doutes (photo 4)
Le bâtiment D, qui est clairement identifiable en 1901 (photo de P. Goby) et encore en 1947 (vue aérienne) grâce aux restanques qu’il domine, a disparu sur les vues actuelles.
Photo 4 (infographie Brieuc Fertard)
Il restait à aller sur le terrain pour vérifier tout cela et réaliser une vue diachronique pour comparer en particulier les lignes d’horizon.
Le tumulus est bien présent aux coordonnées indiquées par Salicis et al. mais est totalement environné de végétation avec même un chêne qui pousse dans la dépression centrale (photos 5 à 7).
Photos 5 à 7 : tumulus de la Sarrée le 12/10/2023 (Brieuc Fertard)
Quant à voir le paysage depuis le tumulus c’est rigoureusement impossible du fait de ce rideau arboré.
J’ai donc utilisé un drone pour photographier à la verticale du tumulus. Le résultat (photo 8), malgré un angle de vue un peu différent et une élévation d’environ 30 m au-dessus du sol permet de trouver des points de concordance convaincants.
Photo 8 (a: Brieuc Fertard, 12/10/2023, b: Paul Goby, 1901)
Elle rend compte aussi de la transformation totale du paysage depuis 1901. Comme partout sur les plateaux des Préalpes de Grasse une revégétalisation majeure a eu lieu, liée au quasi-abandon de l’élevage et de la culture et à la moindre exploitation du bois. Les aménagements modernes ont achevé de rendre le paysage méconnaissable.
Mais le tumulus de la Sarrée, après quelque chose comme 4000 ans d’existence, continue de témoigner des temps anciens et des 160 générations d’humains environ qui se sont succédées à cet endroit.
Localisation enregistrée le 12/10/2023 : 43.688069 6.960201 (degrés décimaux).
(17/10/2023)
Bibliographie :
- GASSIN Bernard. Atlas préhistorique du Midi méditerranéen. 8, Feuille de Cannes. Paris, CNRS, 1986, pp 133-135.
- GOBY Paul. Découverte et fouille d’un tumulus de l’Age du bronze à La Sarrée. Journal de Grasse, N° 45, Jeudi 7 Novembre 1901, p. 1. Journal de Grasse du 7/11/1901
- SALICIS Claude, SALICIS Germaine, BRETAUDEAU Georges, GERARD Marie-Claude. Dolmens, pseudo-dolmens, tumulus et pierres dressées des Alpes-Maritimes (06) – Hors-Série 7 - 2014. Nice : Editions IPAAM, 2014, p. 43.
- SALICIS Claude. Dolmens, pseudo-dolmens, tumulus et pierres dressées des Alpes-Maritimes (06) – Mise à jour N° 1, In Mémoires de l’IPAAM - Tome LVI. Nice : Editions IPAAM, 2014, p. 24.