Les textes et plans sont extraits de l'étude réalisée par Daniel THIERY (bulletins 1 et 6 du GRHP)
Localisation : 43.708426458539236, 6.807235870483801
"Il existe des lieux dans l'arrière pays grassois où il semble que la vie se soit figée depuis la nuit des temps, des lieux où seul le cours d'une rivière, tantôt bruissante, tantôt fracassante vient animer un paysage ou la forêt s'entremêle aux rochers brunis par les vents, le gel et le soleil. Le haut cours de la Siagne, non loin de ses sources, offre ainsi un spectacle naturel à la fois grandiose et secret où l'homme se sent indiscret et en même temps admis s'il sait regarder, se taire et écouter. Il pourra alors peut-être entendre la longue histoire d'un terroir oublié et suivre l'étonnant défilé de l'écoulement des siècles à l'image de la rivière sans cesse renouvelée... "
Le moulin de la motte (molendinum de mota au Moyen-Age) se situe en rive gauche de la Siagne, non loin de ses sources, en contrebas de la chapelle Saint-Jean. D'après les textes, nous savons que ce moulin a fonctionné de 1389 (au moins) à 1907. Après son abandon, la végétation a repris ses droits sur le site, le moulin s'est effondré, n'offrant plus qu'un tas de ruines envahies par le lierre et les arbres morts.
Octobre 1994, Electricité de France, propriétaire du terrain, passe une convention avec le Groupe de Recherches Historiques en Provence, afin que ce dernier effectue le déblaiement des ruines et le commencement de son étude.
Après trois ans de travaux, l'Institut d'Etudes Niçoises, membre du GRHP. a engagé 12 personnes en mars 98, afin de poursuivre ces travaux et de réaliser une mise en valeur du site.
Ci-contre : meule de "pierre meulière" en place sur le rodet. Ce type de meule,
datable du XIX, est cerclée par des rubans de fer posés à chaud
comme les cerclages des roues de charettes.
Ces meules sont monolithes, c'est à dire taillées dans un seul bloc de roche,
par opposition aux meules en silex composées de plusieurs morceaux de silex.
Molendinum de Motta, bref aperçu historique
Ce n'est qu'à partir du XIXè siècle que les habitants de Saint-Vallier ont pris l'habitude de nommer leur vieux moulin à blé sur la rivière de Siagne "Moulin de Saint-Jean", car il est situé en effet à 100 mètres en amont de la chapelle Saint-Jean. Dans les siècles passés, ce moulin portait le nom de "Moulin de la Motte" ou "de la Moutte", au Moyen-Age, "Molendinum de Mota".
Ce moulin était en effet inclus dans un vieux terroir, appelé la Motte, qui s'étendait de chaque coté de la Siagne sur quelques 282 hectares. Fief seigneural, séparé de celui de Saint-Vallier, il est possible qu'il ait été crée au cours du Xè siècle lors de la distribution des terres du diocèse d'Antibes par Rodoard, en 961, à ses compagnons d'armes, après la libération de la Provence des Sarrasins. Le terme de "Motte" désigne une motte féodale, créée au cours des X-XIè siècles, comprenant seulement un donjon entouré d'une cour.
Sur le devant des ruines du moulin :
meule brisée en poudingue siliceux (pierre de Marseille)
dite "meule de Marseille" datable du XVIIIè siècle.
Vers l'an 1220, il est cité comme le château de la Motte. Puis en 1242, le fief de la Motte, avec un château et une église, appartenant alors à Fida de la Motte, est attribué par le comte de Provence Raymond Bérenger V, au prévôt et chapitre d'Antibes. Le fief de Saint-Vallier passe lui aussi aux mains du chapitre d'Antibes, puis la même année au chapitre de Grasse. Le donjon existe encore aujourd'hui, face au moulin, sur la rive droite. Le fief de la Motte, trop petit, et réuni en 1242 à celui de Saint-Vallier, n'a pas connu le développement du donjon en château comme cela est arrivé dans la plupart des cas. En 1566, il est signalé "château vieux de la Motte" . La première mention du moulin, reconnue à ce jour, date de 1389, dans le livre d'administration tenu par l'économe du chapitre de Grasse, seigneur de Saint-Vallier et de la Motte.
Puis en 1447, 1450, 1504, 1510, nous assistons à quatre arrentements (locations) établis par l'économe du chapitre. Il n'existait alors qu'un jeu de meules animé par le rodet. Le meunier résidait au moulin et était astreint, avec le chapitre, à son entretien et à son bon fonctionnement. Les habitants de Saint-Vallier étaient tenus de venir moudre leur blé à ce moulin, c'est ce que l'on nomme la banalité seigneuriale.
Ci-contre : le four du moulin à peine débarassé de son couvert végétal
Des contestations durant le XVè siècle, surviennent entre le chapitre et la communauté, principalement sur les droits de pâture et également sur la banalité des fours et moulins que la communauté conteste.
Las des procés et des discussions, en 1527, contre une indemnité, le chapitre cède la terre de la Motte et le moulin à la communauté. Cette transaction est confirmée par celle de 1566. La communauté devient propeiétaire du moulin et fait alors appliquer strictement une banalité devenue communale.
En 1604, lors d'un arrentement du moulin, il n'est toujours cité qu'un seul rodet, mais apparaît le "paroir" ou foulon à draps.
En 1609 il est indiqué que "la communauté a deux moulins à bled, un paroir". C'est donc entre ces deux dates, qu'on a édifié un deuxième rodet.
L'entretien des moulins s'avérant onéreux, les taxes seigneuriales ayant augmenté considérablement, la communauté, à cours de ressources, se voit contrainte de vendre les moulins.
En 1720, une estimation est faite, qui décrit minutieusement l'état des "moulins à blé situés dans la terre de la Moutte et du foulon attenant".
En 1722, les moulins et paroir sont vendus à des particuliers pour 15335 livres, droit de banalité compris qui devient alors banalité roturière.
Ci contre : dans un des canaux de fuite en cours de dégagement, sous le moulin, nous avons localisé un bloc recouvert de concrétions (tuf) sur lequel a été gravé une date: 1826
Pendant 200 ans, tout semble bien se passer entre les différents propriétaires et la communauté.
En 1814 et 1818, après "le délire des passions révolutionnaires qui avait fait croire que tout ce qui était directement féodal ou le rattachait encore indirectement à un principe de féodalité primitive était aboli sans indemnité", une difficulté apparaît : les propriétaires exigeaient le respect par la communauté de la banalité des moulins. Le Conseil Municipal, d'abord choqué d'une telle demande, puis réticent, reconnaît enfin qu'elle n'a pas été abolie et se voit en 1823, contraint de la racheter afin "d'éteindre une banalité forcée qui tient de si près de l'esclavage".
Ci-contre : "bugadier" découvert lors du dégagement du four. Le bugadier est une poterie de grandes taille utilisée pour laver le linge à l'origine, mais servant aussi à stocker différents produits (eau, vin, huile...). Sur la photo, nous pouvons voir un cordon digité sous la lèvre de la poterie ainsi qu'un cordon vertical sur la panse. On remarque une coulée de glaçure jaune le long du cordon vertical. Cette pièce a été produite à Biot (Alpes-Maritimes) vraisemblablement au cours du XVIIIè siècle (peut-être même XVIIè siècle).
La banalité enfin éliminée, d'autres moulins sont construits sur le territoire. En 1907, le Moulin de la Motte, après plus de 500 ans de fonctionnement, s'arrête définitivement. Il est acquis par la Société Electrique du Littoral.
Arrentement : mis à rente, location à bail
Banalité : droit issu de la féodalité qui oblige les gens à utiliser certains services exclusivement.
Banalité communale : le même dû à la commune
Banalité roturière : le même dû à des particuliers
Foulon : bâtiment où l'on bat le drap dans de l'argile smectique pour l'assouplir et le dégraisser
Fouloir : autre nom pour foulon
Meule : partie tournante ou gisante d'un moulin. Est généralement taillée dans une pierre abrasive (Rhyolithe, Silex, Grès siliceux ou Poudingue siliceux)
Motte : donjon, tour ou château construit sur une levée de terre artificielle
Paroir à drap : syn. de foulon
Pierre meulière : roche en silex sédimentaire utilisée, aussi bien dans la construction, que pour la fabrication des meules du moulin.
Rodet : ensemble composé de la roue, de l'arbre et de la meule tournante (meule supérieure).
Tuf : roche sédimentaire abandonnée par les eaux de source chargées en calcaire. On qualifie généralement ces sources de "pétrifiantes".